Lendemain de fête
** Je vous écris **
Salut les gens,
On est lundi matin, 13 septembre 2027, et faut que je vous raconte ce week-end de dingue, cette fête absolument folle.
Voilà : ce week-end j'étais à la fête de l'Humanité. Je me doutais un peu que cette année serait particulière avec l'élection d'une présidente de gauche en mai et d'une Assemblée Nationale… de gauche mais c'est compliqué quand même ? On va dire ça. Donc oui je m'attendais à ce que ça soit pas comme les années précédentes, mais là ??
Je vais commencer par le début : la fête de l'huma vous savez peut-être pas ce que c'est ? C'est un gros festival, où on trouve pêle-mêle des concerts, de la bouffe de toutes les régions de France et du monde, des débats politiques, de la boue, de la musique, des expos photos, un village du livre, un village numérique, etc, et des gens dans tous les sens. Moi ça fait quelques années que j'y tiens un stand à l'espace numérique et j'en profite en général pour voir un ou deux débats et un ou deux concerts. C'est une ambiance vraiment spéciale.
Mais cette année ? Cette année, on est lundi matin, j'ai pas vraiment dormi depuis trois jours, et surtout c'est pas fini !
** Ça a failli être un désastre **
Les gens ont commencé à arriver dès le jeudi soir. D'habitude le jeudi, y'a seulement les camarades qui installent les stands qui. Là, il y avait des tentes sauvages qui s'installaient un peu partout, des gens qui venaient jeter un œil, commençaient à se regrouper par endroit, autour d'un camping gaz, d'une tente, d'une lampe torche.
Vendredi matin, on a commencé à comprendre. L'entrée ouvre officiellement à midi, et dès neuf heure, il y avait une queue de plusieurs centaines de mètres, des milliers de personnes qui attendaient pour rentrer, dès qui avaient l'air d'avoir dormi là, des qui distribuaient le café, des qui jouaient de la guitare. C'était tranquillement joyeux, mais des milliers de personnes quand même qui faisaient la queue.
Les barrières se sont ouvertes et iels ont commencé à rentrer. Et assez rapidement une rumeur a circulé dans les stands : tout le monde ne rentrerait pas. La direction de la Fête, un peu submergée, a envisagé de refermer les barrière, mais c'était déjà trop tard. On a commencé à entendre un grondement, on s'est dit que ça allait chauffer.
Mais non, les gens qui attendaient ont juste enlevé les barrières, et installé des stands pirates dans les champs autour. La fête s'est agrandi de partout comme un blob qui aurait eu trop à manger. Y'a que le terrain militaire à côté qui résistait avec ses barbelés, Pour l'instant.
** Le premier débat, le moment où ça a basculé **
À treize heure, il y avait le premier débat important à l'Agora, qui réunissait trois des ministres de notre nouveau gouvernement. Je suis allé voir. Franchement c'était un peu chiant. L'Assemblée avait été élue sur un programme certes de gauche, mais minimaliste, le plus petit dénominateur commun à tous les partis de gauche ne pesait, au final, pas très lourd et les ministres tournaient autour du pot sans arriver nulle part.
Ça commençait à gronder dans le public. Et puis, une nana est montée sur l'estrade, a pris un micro et a dit en substance : « maintenant ça suffit ! Puisque vous savez pas où vous allez, nous on va décider. S'il y en a qui sont ok avec ça, on se regroupe à l'extérieur et on crée une Convention Citoyenne de la Fête de l'Huma.» C'était un peu soudain, mais on a commencé à applaudir et doucement à discuter avec ses voisins. Qui ? Quoi ? Comment ?
Le bruit s'est propagé dans toute la fête. Les gens ont commencé à former des groupes mouvants. Au hasard au début, puis à un moment on entendait : au stand de l'Essonne ça discute de l'école, au Finistère ils parlent d'agriculture, dans la tente des Soulèvements de la Terre ça parle démocratie, le stand des Socialistes ça parle industrie. Je sais pas s'il y avait une logique dans la répartition, je crois que ça s'est fait au hasard des gens qui étaient là. Je me suis dirigée vers le stand du Finistère.
** Les assemblées locales de partout **
Je suis arrivée au stand du Finistère pendant une distribution de crêpes, je crois que j'ai un sens du timing très ciblé. Je dis stand du Finistère mais en vrai ça débordait devant, derrière et de tous les côtés. Le Morbihan à côté faisait de la résistance en s'étendant aussi, mais on débordait quand même. On a fait plusieurs groupes, sur différents thèmes, la permaculture, la gestion de l'eau, les terres agricoles, etc.
Ça discutait sec. On était d'accord, pas d'accord, difficile de s'entendre par moment, mais globalement ça se passait plutôt bien. On n'a pas vu le temps passer. On a continué à discuter toute la nuit ou presque.
Il y avait des gens qui arrivaient, d'autres qui repartaient. Personne pour vraiment noter ce qui se disait, on était juste en train de refaire le monde. Je suis pas vraiment une couche-tard. Vers minuit j'ai commencé à cligner des yeux, du coup je suis repartie pour aller dormir un peu. En circulant dans les allées, j'ai vu plein d'autres assemblées, de la musique aussi pas mal. Une espèce d'énergie étrange circulait. Partie pour durer toute la nuit, façon Occupy.
Je suis rentrée chez moi, j'ai dormi quelques heures et j'y suis retournée vers 7 heure le matin samedi. Les allées étaient plus calmes, j'ai fait du café, beaucoup, que j'ai commencé à distribuer à ceux qui discutaient toujours.
** Et puis flop ? **
Dans la matinée j'étais retournée au stand du Finistère pour participer aux débats sur l'agriculture. C'est vers midi que quelqu'un a eu une idée. Enfin une réflexion. Il s'est mis sur le bar et à demander l'attention de tout le monde. Il a dit « C'est génial ce qu'on fait en ce moment, mais personne n'a pris de note, et surtout ce qu'on décide c'est entre nous. On est nombreux, mais clairement pas hyper représentatifs, juste une bande de gaucho un peu allumés, qui ont pas assez dormi. On représente personne. Il faudrait qu'on puisse partager ce qu'il se passe avec les autres. » Les autres c'était toute la France, tous les gens chez eux qui avaient jamais entendu parlé de la Fête de l'Huma, ou qui connaissait mais n'avaient pas pu venir, ou bref, tout le monde.
Ça a jeté un froid. Le silence s'est installé et s'est répandu sur la Fête. On a entendu un concert sur la grande scène qui savait pas trop s'il devait continuer ou pas.
Et là, on a vu une bande de geek sortir de l'Espace Numérique. Très hétéroclite comme bande, depuis le classique geek à lunette, jean, basket et T-shirt avec des bouts de codes écrits dessus, jusqu'à la tenue à paillette et couette colorées, en passant par toutes les nuances de métalleuses étrange et de Mr Toutlemonde. Il y en avait même un en costard et cravate. Je sais pas d'où il sortait celui-là, on en voit pas beaucoup des comme ça sur la fête de l'Huma.
Iels ont dit qu'ils pouvaient tenter de bricoler un truc.
** Le dimanche **
Iels ont codé tout le samedi, toute la nuit, et une bonne partie de la matinée du dimanche. Jusqu'à ce qu'enfin iels annoncent qu'iels avaient un proto. Un débat d'appli, pas encore nickel, mais quelque chose qu'on pouvait partager. On y rentrait des textes, des propositions, par thème, par région, on pouvait faire des liens entre les propositions. Après, si on voulait diffuser ça de façon large il allait falloir des serveurs pour héberger les données.
- Des serveurs ?
- Des ordinateurs, connectés au réseau.
- Des data centers ? On va trouver ça où ?
- Non pas besoin d'aussi gros heureusement.
Il se trouve qu'il y avait un hébergeur à l'espace numérique qui avait ce qu'il fallait. Aussitôt dit, aussitôt fait. Iels ont mis le truc en ligne.
** Pourquoi je vous raconte ça ? **
Parce que maintenant on est dans le train pour rentrer chez nous, et il va falloir diffuser, infuser, perfuser, je sais pas. Ce qu'il s'est passé à la fête de l'Huma c'était ouf, mais c'était pas assez, c'était tout petit à l'échelle du pays. Maintenant on a besoin que chacune, chacun, réunisse une assemblée dans son quartier, à son boulot, à son école, peu importe, mais discute avec ses voisins et alimente OPIF, Outil Populaire pour l'Invention du Futur, oui les geeks aiment bien les acronymes marrant.
Donc voilà, depuis mon tout petit réseau, je vous parle de ça. Y'a un truc qui est en train de se jouer, et vous êtes de la partie, on est toustes de la partie. Diffusez, partagez, inventez. Soyez fou !
Pourquoi je vous raconte ça maintenant ?
Ok, je sais qu’on n’est pas en 2027, mais en 2025 et que le monde est sombre. Mais aujourd’hui c’est jour de mobilisation, et j’ai l’impression qu’aujourd’hui aussi quelque chose est en train de se jouer. Alors je voulais partager de l’optimisme, mon espoir qu’on peut changer le monde. Je sais pas si ça sera aujourd’hui, demain ou dans dix ans, mais je suis convaincue que c’est possible, et j’avais envie de partager cette conviction, pour vous toustes qui êtes dans la lutte et n’en voyez pas le bout, pour celleux qui n’y sont pas mais le voudrait, pour celleux qui n’y croient pas. Un peu d’espoir dans l’avenir.