Danse
La période est propice à s’intéresser aux activités artistiques. Et comme ma fille fait de la danse, je me suis demandé : Que signifiera « faire de la danse » dans le futur. Quelle place pour la culture. Ce n’est pas une nouvelle que je vous propose aujourd’hui, mais plutôt un flash, une possibilité parmi des milliers, un interlude.
Chignon serré, maquillage au carré, tenue ajustée, une jeune fille s’engouffre dans la bouche fumante du métro. Elle regarde sans les voir, les lumières défiler derrière les vitres. C’est une journée de travail qui commence. Sans surprise et sans étoiles.
Elle entrera dans le studio, enlèvera ses chaussures, et un assistant sans visage viendra l’aider à enfiler la combinaison capteur. Puis ombre en noir et fluo sur fond vert elle attendra le début de la musique. Les sons qui s’enchaînent, programmés par une IA pour être dynamiques, ou émouvants, ou reposants. Alors elle commencera la chorégraphie, écrite elle aussi par un autre. Elle n’a même plus besoin de les travailler avant, elle connaît les mouvements par cœur, il suffit de noter le rythme de la musique, toujours simpliste, et d’enchaîner.
Les caméras se mettront en marche et enregistreront ses mouvements, les déplacements des capteurs. Et alors la machinerie entrera en action. Sur les écrans, téléphones et tablettes, chacun pourra regarder une créature danser. Personne ne la verra elle, chacun a programmé l’avatar qui la remplace, animé par ses mouvements. Elfes, éléphants, déesse dénudée, le meilleur et le pire. Elle ne veut pas savoir.
Le métro s’arrête, elle sort de la station et approche de l’immeuble des studios. Son cerveau est éteint et ses gestes mécaniques, quand une goutte d’eau frappe son visage, l’arrêtant sur le trottoir, elle a oublié son parapluie. Comment a-t-elle pu être aussi étourdie. Elle fait quelque pas, commence à courir. Elle ne veut pas avoir à garder sa tenue mouillée sous la combinaison. Mais il est trop tard, l’orage éclate, et l’eau se déverse.
Alors elle reste là, pantelante sous les gouttes, devant l’entrée du grand immeuble gris. Et elle entend. Elle entend les gouttes qui tapent le sol dans un rythme toujours modifié. Elle ferme les yeux. Du bout du pied, elle amorce un battement. Aile d’oiseau vite repliée. La pluie ruisselle sur ses joues et ses mains suivent le mouvement, ondulant de haut en bas. Elle laisse son corps vibrer quand un coup de tonnerre retentit au loin. Et alors ses bras volent, s’entremêlent et tournoient. Ses pieds battent le trottoir mouillé, tentant d’échapper à la noyade, de battements en entrechats. Elle s’élance, s’envole, bras tendus, seules les pointes de pieds touchent encore le sol. Un éclair tranche le ciel et elle retombe, tel un oiseau blessé.
La pluie lui martèle le dos. Elle roule sur elle même, dans les flaques et la boue, ses jambes ondulent, tout son corps sursaute. Ses mains, ses pieds, sans s’arrêter, tournoient les uns autour des autres. Elle danse, sur le trottoir trempé, au son de la pluie qui s’abat sur le bitume, elle danse. Et dans un dernier mouvement se redresse, relève la tête.
Une foule s’est rassemblée sur le trottoir, indifférente à l’orage et l’a vu danser. Elle.
4 commentaires
CHRISTINE SCHOUVER
c’est un beau texte qui incite à aimer la pluie…
J’ai l’impression de sentir l’odeur du goudron sous la pluie… mêlé aux senteurs des quelques fleurs de bitume qui résistent encore au bétonnage… c’est un mélange étonnant qui incite encore à sortir sous la bruine ou sous le déluge .
A bientôt, au plaisir de te lire.
marianne
C’est presque une madeleine de proust pour moi cette odeur 🙂
anne
j aime la note finale optimiste
marianne
Merci, j’essaye de terminer par de l’espoir sinon quelque part je trouve que c’est inutile d’écrire. Bon dès fois j’ai un peu de mal 🙂