Interludes

Vie et mort d’un ver de terre

Peut-être inspirée par la nouvelle passion de ma fille pour les vers de terre et très sûrement par la situation actuelle où l’on doit réfléchir à ce qu’est un métier essentiel, voici un petit texte, très court, d’un seul souffle. Mais c’est plus un cri de colère qu’un souffle… et je pense et espère que la colère des vers de terre fera trembler le monde.


Toute ma vie j’ai rampé. J’ai creusé la terre, j’ai valorisé vos déchets, avalés d’un côté, déféqués de l’autre, pour que poussent les plantes. Une vie sans lumière et sans horizon mais une vie productive. Pour que poussent et mûrissent tomates, courges et pommes de terre, pour qu’humains, vaches et cochons puissent manger à leur faim, j’ai bouffé la terre, et avec j’ai avalé les herbicides, pesticides, et autres -cides. Je suis passé au travers. Certains de mes frères et sœurs n’ont pas eu cette chance.

Quand seulement vous m’avez regardé, ce fut avec mépris ou dégoût. Oui vous, avec vos mains blanches et vos ongles nets, lobotomisés devant un écran ? Où étiez-vous ?

Où étiez-vous, financiers sans odeur, quand il a fallu nourrir le monde ? Moi, que vous n’avez jamais regardé, que vous avez écrasé sous vos chaussures cirées, j’ai travaillé. J’ai vu les racines blanches fouir la terre, j’ai vu les rhizomes s’étendre au travers des rocailles, les tubercules dorés amasser l’énergie, l’eau ruisseler et donner vie. Et puis les feuilles sont sorties, les fleurs ont éclos, les fruits sucrés ont amassé le soleil. Enfin le froid s’est installé et je me suis repus des feuilles en décomposition et des fruits blettes afin que mes déjections alimentent un nouveau cycle.

La fin est proche et mon corps sera lui aussi dévoré mais ma vie n’a pas été inutile. Je le sais car je vois les enfants jouer et rire. Aujourd’hui c’est digne et fier que je meurs car, grâce à moi, vous êtes vivants.

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3 commentaires

  • Mamtine

    j’ai vraiment beaucoup aimé. Oui, grâce à beaucoup d’êtres vivants nous sommes vivants et notamment aux “petites mains”, et que j’aimerais que cette expression ne soit pas péjorative. A l’heure où un minuscule virus nous remets à notre place d’être vivant et fragile, nous fait reprendre conscience que nous ne sommes qu’invités sur notre planète, il est urgent d’imaginer un autre monde et de le faire vivre.

  • Bénédicte Durand

    Bonjour
    Oui Braves petits vers de terre…
    En ces temps confinés, Les ondes laissent plus la parole à la présidente de la FNSEA grande promotrice de l’agriculture industrielle destructrice des vers de terre. Et le président de la République visite dans le Finistère une ferme de fraises hors sols qui poussent à 2m du sol et sans vers de terre ! Quel goût !

    Ce sont NOUS consommateurs qui ferons bouger les lignes , dans notre petite si e d’influence en expliquant à ceux qu’on lobotisent à coup de messages médiatiques. Consommer local et Bio. Et pas seulement la nourriture, …en limitant nos transports, en favorisant le covoiturage ou le train, en banissant l’avion pour les courts trajets pouvant se faire en train. Lorsque l’avion sera taxé à la hauteur du train et de l’auto…
    Coup de gueule du jour.
    On est TOUS responsable. Le jour où on arrêtera de se jeter chez Mac drive!

    Vive les vers de terre…. Que la campagne est belle au printemps, mais pas dans tous les champs car dans certains il n’y en a plus!

  • Gonzalez Agnes

    Magnifique…J’ai vraiment été émue par ce texte poétique et pleins d’enseignements .
    Un petit être vivant si petit mais ceux sont les gardiens de la Terre, les humains l’ont tellement oublié..
    Bravo

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