Devenir loup
J’ai écrit ce texte il y a longtemps, dans un temps de randonnée en forêt, où j’avais lu des livres sur les loups. Un temps où la question de notre sauvagerie en regard de celle des animaux «sauvages» me taraudait. Qu’est-ce qu’être sauvage ?
Obscurité bruyante de la nuit
Les hurlements parcourent les bois
La meute s’assemble, renvoie les cris
Les corps se frottent, les loups aboient.
Les museaux hument, reconnaissance.
La chasse est lancée, silencieuse,
sans un bruit, c’est leur essence,
une armée grise s’élance, furieuse.
Traque, encercle, la proie s’écroule
Un dernier cri, s’enfoncent les crocs,
pour se repaître des entrailles molles
la langue plongée dans le sang chaud
Devenir loup.
Devenir loup, parmi les miens,
En cage.
Devenir loup, parmi les tiens,
sauvage.
Le froid qui mord, la nuit s’avance,
La course sans fin, dans l’air glacé,
Halo de pluie, s’éveillent les sens
sous la voute des arbres, protégés.
Museau qui hume les fleurs endormies,
La terre humide lèche les coussinets
Craquement du bois, oreilles applaties
Frisson du vent, poils qui s’hérissent
S’enrouler dans la nuit, en être
le maître. Seul dans l’aube blème
Se sentir vivant, puissant, être,
De toute sa chair, écosystème.
Devenir loup.
Devenir loup, parmi les miens,
En cage.
Devenir loup, renier l’humain,
sauvage.
Le jour dissipe les ombres, la horde
Dans une caverne noire se fond
Coups de langues, caresses et bourades
Chaleur et joie d’être ensemble
Croiser leurs regards sans parole
Masque, loup, qui communique plus qu’il
ne cache. Derrière ton masque, garolle
tu parles, des frères, des sœur, des filles
Qui ouvrent les yeux, hument le jour
Relèvent la tête quand l’aube point
Et voient, dignes, ce qui les entoure
Au petit matin, deviennent humain.
Laisser le loup, devenir humain
en cage,
Rester loup et être humain,
sauvage.